Bernard ni dieu ni chaussettes de Pascal Boucher (Les Films des Deux Rives - Les mutins de Pangée)

Publié le par 67-ciné.gi-2010

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10logmutBernard ni dieu ni chaussettes documentaire de Pascal Boucher
durée : 1h20
sortie le 24 mars 2010
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À 73 ans, Bernard vient de prendre sa retraite de paysan. Il continue bon gré mal gré, à cultiver sa vigne et à partager son vin entre amis. Il a toujours vécu seul et reste fidèle au mode de vie rural qu’il a toujours connu. Bernard est un gardien de la mémoire. Celle du poète local Gaston Couté qui connut son heure de gloire dans le Montmartre de la Belle Époque. Les deux hommes, qu’un siècle sépare, ont en commun un esprit libre et la volonté de témoigner de la condition paysanne des plus humbles. Depuis 25 ans, Bernard écume les salles des fêtes de la région pour dire des textes du poète écrits dans sa « langue maternelle », le patois beauceron.
Mais usé par le travail, il voit la fin s’approcher et avec elle celle d’une époque et d’une musique des mots dont l’écho se meurt dans la lande.

avec :
Bernard Gainier

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Ces choses là....
Gaston Couté : « Si les exploiteurs qui pressur’nt tes frères,
Pauvres ouvriers, pauvres citadins,
Font l’ geste d’abattr’ leurs griff’s sur ta terre
Ta vieill’ “ comprenoire ” se réveill’ soudain :
Paysan, t’es pas si bêt’ qu’on suppose
Ni qu’ tu veux l’ faire croir’, sacré nom de d’ la !
Si ton intérêt se trouv’ mis en cause
T’as rud’ment vit’ fait d’ comprendr’ ces chos’-là !
»

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Intentions
Un jour d’hiver. Au loin une silhouette émerge de la brume. C’est Bernard qui revient de tailler sa vigne. Il rentre à la ferme. Dans la cuisine aux murs noircis par la fumée de la vieille cuisinière à bois, il quitte sa canadienne usée, se rase, enfile un pull propre et met exceptionnellement des chaussettes (il porte toujours des pénufles, un tissu enroulé autour du pied Y’a rien de tel pour marcher !). Il s’est fait beau, ce soir il monte sur scène, devant son public. Il va raconter, dans son patois, le sort peu enviable des femmes de paysans, dénoncer l’hypocrisie des Monsieur Imbu de la politique, parler de la vie qui n’est rien sans la mort.... Portrait d’un paysan atypique qui n’a pas la langue dans sa poche.
C’est lors de l’un de ses concerts que j’ai rencontré Bernard Gainier. Depuis longtemps je m’intéresse à l’oeuvre de Gaston Couté, j’avais l’intention d’en faire un film quand ma rencontre avec Bernard m’a ouvert d’autres horizons. C’est lui qui nous parle de Couté mais pour mieux parler de lui-même. Originaire du pays, j’ai l’occasion de le voir régulièrement et notre intérêt commun pour le poète a créé des liens, un rapport de confiance s’est installé entre nous qui a rendu ce film possible. Plus de deux années pour lui tirer le portrait.
Un film qui pourrait s’appeler Le paysan, le diseux et le poète. L’homme de la terre qui interprète des textes qui parlent des gens de la terre.
Le récit se déroule selon une dramaturgie qui dévoile peu à peu les différentes facettes du personnage, tout en nous faisant découvrir la poésie de Couté. D’abord le paysan qui travaille la vigne C’est bien plus dur que de labourer un champs le cul sur le siège du tracteur ! .
Avec sa démarche claudiquante, ses habits usés jusqu’à la corde, le mégot à la bouche, il pourrait, pour des gens de la ville, paraître arriéré, une caricature de paysan, figé dans un temps révolu. Mais il ne faut pas se fier aux apparences.
Son temps libre, il ne le passe pas à regarder la télé mais à dévorer des livres d’Histoire, incolable sur la Commune de Paris ou la Guerre de 14.
Dans un milieu rural réputé conservateur, Bernard fait figure de marginal avec ses idées libertaires. Anticlérical, irrévérencieux à l’égard des notables il n’en est pas moins respecté quand il fait découvrir l’oeuvre du poète au collège Gaston Couté de sa ville, devant des élèves interloqués.

L’interprète
Bernard est une vedette à sa manière, l’oeuvre et la gloire posthume de Couté lui ont permis d’affirmer sa singularité, de jouer les provocateurs mais toujours avec humour et sans se prendre au sérieux. L’essentiel est de faire entendre cette poésie qui nous parlent d’un temps où la vie était plus rude mais où les lendemains chantaient encore…
Autre personnage de cette histoire, le décor dans lequel évolue Bernard, le Val de Loire...

Le ciel et la terre
Né dans la ferme où il a toujours vécu, Bernard est enraciné dans cette bande de terre entre Beauce et Loire, large de quelques kilomètres. D’un côté les grands espaces du pays Beauceron avec ces champs sans fins balayés par les vents, où la présence du ciel est si grande qu’elle semble écraser les hommes qui l’habitent. De l’autre, la Loire, plus grand fleuve sauvage d’Europe. Tourmentée en hiver, calme et paisible en été elle suit son cours que rien n’arrête... comme le Temps.
Et puis son affluent les Mauves, labyrinthe de cours d’eau qui traversent Meung-sur-Loire et qui firent sa prospérité au temps de Couté avec plus d’une trentaine de moulins à eau. Il n’en reste plus qu’un. Aux alentours, la nature a repris ses droits et donne à cette zone marécageuse des allures de bayous propre au pays Cajun.
Un décor, une musique, celle du groupe Le P’tit Crème qui chante Couté sur des airs de blues, le film va flirter du côté du western...
Les blés sous l’orage, la Loire en crue, la vigne en fleur... La nature, changeante au fil des saisons, du printemps à l’hiver, se fait le reflet des états d’âmes de Bernard. Montrer que l’homme et son environnement sont indissociables, comme une seule et même entité.

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La vigne
Au début du XXème siècle à Meung-sur-Loire, le phyloxera a eu raison du vignoble, toutes les vignes ont dû être arrachées. Celle de Bernard, d’à peine un hectare, est l’une des rares à subsister au Nord de la Loire. Coincée entre une départementale et l’autoroute A10, elle semble anachronique au milieu de cette plaine céréalière. Elle ressemble à son propriétaire. D’ailleurs ils ont le même âge, plantée en 1936, année de sa naissance.
Sa production de Gris-Meunier se limite à un usage privé et comme il faut bien vider les tonneaux avant la récolte suivante... le Bureau est un lieu incontournable pour tous ceux qui lui rendent visite. Dans les profondeurs du sous-sol on y retrouve la France d’en bas, amis, voisins, amateurs du poète. De mauvaises langues pourraient dire qu’ils viennent plus pour le verre de rouge que pour Bernard.... j’en doute. Bernard est une personne attachante et son vin est une piquette.
Le Bureau lieu d’échanges, lieu festif où on y chante le vin, les vendanges et les effets euphorisants du vin nouviau et aussi antre à l’écart du monde qui incite à la confidence, où la parole se fait plus intime.
La vigne, fil rouge du récit, du raisin qui germe au vin qui coule de la cannelle.

Le Gardien
Gaston il le connait depuis son enfance quand sa mère Olga lui apprenait Le patois de chez nous ou La Chandeleur. Devenu fin connaisseur de son oeuvre on lui a demandé un jour de monter sur scène... depuis il n’est jamais redescendu.
Ses interprétations du poète en on fait une figure populaire de Meung-sur-Loire. Même si Bernard est à sa manière un gâs qu’à mal tourné, l’identification s’arrête là : Couté je ne l’aime pas plus qu’un autre, c’est l’oeuvre qui compte, dire la campagne, faire revivre ce monde paysan dans un patois qui n’est plus qu’un murmure lointain.
Déjà au début du XXème siècle Couté abandonnait le patois de moins en moins usité. Aujourd’hui si les langues régionales connaissent un regain d’intérêt, Bernard est l’un des derniers dans la région à témoigner de cet héritage culturel. Ni sentiment régionaliste, ni folklorisation du passé, il y est plutôt question de transmission. C’est un passeur, en amateur comme il aime le préciser. Le cachet d’un concert ou les ventes de disques seront dépensés autour d’un bonne table avec les autres membres du groupe. Cette année le P’tit Crème s’apprête à sortir son cinquième CD. J’ai suivi Bernard durant une séance d’enregistrement en studio, puis en répétition et enfin en concert, présenter ses vieilles nouveautés comme il dit.
Tout cela à la condition qu’il n’y ait pas trop de contraintes. Il faut que ça demeure un plaisir, ce n’est pas un métier, J’ chu d’abord un pésan.

Dans Nanar il y a anar
J’ai jamais renoncé à travailler la terre. C’est dur, on n’a pas de dimanche mais au moins on est libre, on a pas de chefs !
Lui qui un temps fut ouvrier à la verrerie de St Gobain, puis ouvrier agricole, a finalement repris la ferme familiale. N’avoir personne pour maître et n’être le maître de personne telle pourrait être sa devise. Il partage avec Couté le goût de la liberté, refusant de se plier au mode de vie dominant, consumériste et superficiel. Mais cette liberté a peut-être un prix, celui de vivre seul avec Lilou, son chat ?

Les carnets
Jeudi 5 Janvier. Fais ma toilette. Suis allé à Auchan. Ai nettoyé un fût. Visite de Claude et de Gilles. Mal au dos, mal dormi cette nuit. Ou encore Samedi 12 Avril. Concert avec le P’tit Crème à Meung. Bon public, la salle est pleine. Dis Le gâs qu’à mal tourné que je n’avais pas dit depuis longtemps. Puis restaurant avec les musiciens. Couché vers une heure du matin.
Des mots simples pour une vie simple.
Paradoxalement, Bernard est doué d’une mémoire qui l’autorise à citer tous les rois de la dynastie Capétienne comme à retenir de longs textes en vieux français ou le répertoire de Brassens, mais quand il s’agit de se rappeler d’un fait ancien de quelques mois, sa mémoire vacille. D’où l’importance pour lui de noter, chaque matin, dans ses carnets ce qu’il a fait le jour précédent.
Bernard est le conteur de sa vie en faisant la lecture (off) de ses carnets. C’est lui qui se raconte, avec ses mots.

La Grande Faucheuse
À 73 ans, Bernard est entré dans l’hiver de sa vie. Comme beaucoup de paysans, il sait que le jour où il ne pourra plus travailler ses jours seront comptés. Ne rien faire c’est déjà avoir un pied dans la tombe. Alors la mort il y pense Pas de curé pour mon enterrement, je me ferais cramer! Et que mes cendres soient dispersées dans ma vigne, il y aura un peu de moi dans le vin. Vous boirez à ma santé !
Au-delà de sa propre histoire, c’est une époque qui se termine, plus qu’une génération c’est celle d’une paysannerie qui n’a jamais cherché à vivre du productivisme intensif mais selon ses besoins, ni plus ni moins. En cela il reste fidèle à une vision chère à Villon comme à Couté, riche ou pauvre quelle importance ? On est tous égaux devant la mort. On fini tous dans Le champ de naviots.

Une trace
Quand je lui a demandé si je pouvais le filmer régulièrement, il m’a répondu que j’avais vraiment du temps à perdre, je lui ai répondu que c’est justement ça que je voudrais filmer... le temps perdu. Le temps qui passe, le temps passé, le temps qu’il fait...
Filmer en plans fixes comme autants de tableaux du quotidien, pour questionner l’immuabilité de son monde et l’inscrire dans un temps autre, plus universel. Rechercher l’épure à l’image de cette vie simple et de l’horizon qui n’en finit pas.
Filmer pour garder une trace avant que ne disparaisse l’un des derniers mohicans comme il aime à dire. Ce personnage de cinéma qui aurait pu être l’un des héros de La Soupe aux choux comme de Buena Vista Social Club.

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Fiche technique
Réalisation : Pascal Boucher
Assistanat de réalisation : Olivier Azam
Image : Pascal Boucher
Montage : Pascal Boucher
Production : Les Mutins de Pangée
Direction de production : Boris Perrin
Chargé de production : Laure Guillot
Assistanat de production : Thomas Tertois
Conseiller post-production : Michel Fiszbin
Distribution : Les Mutins de Pangée - Les Films des Deux Rives
Attaché de presse : Jean-Bernard Emery

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présentation réalisée avec  l’aimable autorisation de :
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remerciements à
Laure

logos, photos & textes © www.filmsdesdeuxrives.com
logos, photos & textes © www.lesmutins.org

Publié dans PRÉSENTATIONS

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